Le journal
"Créer une entreprise c’est un parcours du combattant avec des joies,
de la liberté, et parfois de mauvaises surprises.
Il faut savoir les digérer vite, s'en instruire et les transformer en force."
Au début, c'était le désir d'indépendance, de créer quelque chose de nouveau, de joindre le beau à l'utile. Puis c'est le goût de l'aventure et des plaisirs simples de la vie de famille qui l'a poussée à devenir entrepreneuse. Constance Hartig, fondatrice de Canopea, a franchi le pas en 2016 pour combiner deux passions : la création et le grand air. Dans cette interview, elle nous raconte ses débuts en tant qu'entrepreneuse.
Quand est-ce que l’idée de créer ton entreprise a germé en toi ?
Avoir ma propre boîte n’a pas été aussi évident pour moi que ça l’est aujourd’hui. Avant de lancer Canopea, j’ai longtemps travaillé dans le milieu de la culture, dans lequel il faut être polyvalent, autonome et créatif. Je pense que ce fonctionnement a beaucoup influencé qui je suis aujourd’hui et comment j’aime travailler. Créer une entreprise c’est un parcours du combattant avec des joies, de la liberté, et parfois de mauvaises surprises. Il faut savoir les digérer vite, s'en instruire et les transformer en force. Les embuches sont d’ailleurs sans fin mais j’aime ces challenges, c’est comme ça qu’on apprend, qu’on avance et qu’on grandit. Aujourd’hui je réalise que l’entreprenariat me correspond à 100%.
Qu’est-ce qui a provoqué le déclic pour abandonner ton poste dans les relations presse culturelles pour te lancer ?
En tant que junior en entreprise, j’ai souvent été un peu frustrée de ne pas toujours avoir les informations en main. Je posais naturellement beaucoup de questions car j’avais envie de savoir un tas de choses, ce qui n’était pas toujours bien perçu. J’ai gravi les échelons un à un, puis au bout de dix ans dans la communication, j’ai eu envie de retrouver d’autres problématiques. J’étais fascinée par comment les choses étaient produites, comment fabrique-t-on une machine à café par exemple, ou d’où viennent nos vêtements et qui les fabrique ? J’ai fait des études de design (Parsons School à New York) donc j’ai toujours su que je reviendrais vers un métier plus manuel à un moment ou un autre. Il fallait juste attendre le bon moment. Alors enceinte de mon troisième enfant, j’ai pu négocier une rupture conventionnelle et me suis dit « ok, c’est maintenant ou jamais ». Cela fait 5 ans et je ne l’ai jamais regretté !
J’imagine que l’idée de Canopea est née de ton vécu de maman ?
Tout à fait ! L’été qui a suivi l’arrêt de mon dernier job, je suis sortie d’une consultation chez mon dermatologue avec un t-shirt anti-UV, un cadeau promotionnel (assez vilain) en matière synthétique. J’étais enceinte de 6 mois, avec deux autres enfants de 2 et 4 ans, et une fois sur la plage je me suis demandé comment leur étaler de la crème tous les jours sans leur courir après et accoucher sur place ! Du coup ils ont porté ce t-shirt moche toutes les vacances, qui s’est retrouvé déchiré sur toutes les coutures dès le troisième jour… Je cherchais alors une idée pour créer ma boîte, et mon beau-frère m’a suggéré pour blaguer de faire des t-shirts anti UV. On a ri et j’ai décidé de relever le challenge : rendre sympa et branché un produit qui était alors peu désirable pour la plupart des parents.
Comment est-ce que tu as démarré ?
Au retour de mes vacances, j’apprends qu’une amie décède d’un cancer de la peau à 32 ans. En me plongeant dans le sujet, face aux statistiques alarmantes, je réalise que le nombre de personnes atteintes d’un cancer de la peau double tous les dix ans en Europe, que les enfants sont particulièrement sensibles aux rayons UV par leur peau toute fine et que notre capital solaire se dégrade dès l’âge de 18 ans. Il est surprenant qu’on soit si mal informés à propos de ce cancer alors que nous avons de vrais moyens d’agir pour l’éviter. J’ai aussi compris qu’un simple t-shirt en coton ne protégeait pas notre peau des rayons nocifs du soleil (UPF 7, une fois mouillé il chute à 3). Un t-shirt anti UV Canopea propose un UPF 50, ce qui signifie qu’il protège à 98% des UV. La jeune génération de dermatologues l’affirme aujourd’hui, la meilleure protection solaire passe par le vêtement technique. J’ai donc vite pris conscience de la nécessité de créer un produit fiable et efficace contre les UV, pour palier à l’offre quasi inexistante en France.
Et tu n’as pas eu de mal à convaincre les parents : tes t-shirts anti-UV ont été un succès dès le début !
J’étais clairement convaincue de mon idée mais avec un produit aussi saisonnier il fallait faire bien et vite. En l’espace de quelques mois, j’ai sourcé des tissus – ultra résistants et transformés à partir de filets de pêche recyclés-, trouvé un fabricant, créé une société, trouvé un nom de marque, sorti des prototypes, shooté des photos en studio, créé un site marchand, et lancé une première production de 1200 maillots de bain anti-UV en espérant que quelqu’un veuille bien en acheter. Pari gagné ! En trois semaines tout était vendu, j’ai dû faire deux réassorts au court de la première saison. Je n’étais visiblement pas la seule à vouloir protéger mes enfants des UV sans trouver de vêtements à mon goût. Il y a eu aussi une évolution impressionnante des mentalités sur nos comportements face au soleil. Aujourd’hui un jeune parent ne se pose plus la question s’il faut oui ou non protéger son enfant du soleil.
Les parents sont convaincus, mais comment convaincre nos enfants de porter des vêtements anti-UV sur la plage ?
C’est le nerf de la guerre ! Et l’une de nos principales préoccupations. Nos tissus bloquent les rayons du soleil sans filtre chimique grâce au maillage très serré des fibres, ce qui signifie que nos maillots anti-UV restent efficaces même mouillés ou après des lavages à répétition. C’est aussi un tissu léger et respirant, ce qui est important pour ne pas provoquer d’irritations de la peau. Le t-shirt anti-UV doit agir comme une seconde peau, pour cela nous respectons trois critères : il s’enfile facilement grâce aux trois boutons sur l’épaule, les étiquettes et les coutures ne grattent pas, et il sèche rapidement (20 min max). Si ces trois critères sont respectés, l’enfant oubliera qu’il porte un tee-shirt anti-UV, il l’adoptera sans souci et restera bien protégé.
Est-ce que ça a été difficile d’apprendre un nouveau métier ?
Je n’avais aucune formation dans le textile au moment de lancer Canopea, donc au début j’ai surtout fonctionné à l’instinct. Je sais aussi quelles sont mes limites donc pour m’aider dans la construction de mon projet, j’ai suivi quelques formations accélérées de la ville de Paris : en comptabilité, stylisme et patronage pour comprendre quelles seraient les problématiques d’une modéliste sur mon type de produit. Les deux premières années ont été très intenses car avec peu de moyens, j’ai dû porter toutes les casquettes, parfois en même temps : la gestion du site Internet avec ses codes CSS, la comptabilité, le suivi de production avec ses hauts et ses bas, la préparation et l’expédition des commandes, la communication avec Instagram qui devenait un outil ultra chronophage mais déjà incontournable. Je ne dormais pas beaucoup à cette époque, mais comme je venais d’avoir mon troisième enfant, j’avais déjà un sommeil très perturbé !
Comment tu as tenu pendant cette période entre tes trois enfants et ta boîte à lancer ?
Je n’ai pas hésité à me faire aider, d’abord par mon mari qui a été d’un soutien et d’une patience angélique. Puis de nounous et d’une armée de jeunes filles qui prenaient le relais sur les sorties d’école et activités. Puis rapidement grâce au succès des premières collections, j’ai pu m’entourer de professionnels qui ont pris le relais sur la logistique, les réseaux sociaux, le service client… Je gère maintenant une équipe de 8 personnes avec qui je suis en contact à tour de rôle quasi au quotidien. J’ai cravaché mais je pense aussi avoir eu la chance de tomber sur le bon produit au bon moment.
En tant que femme et maman, est-ce que tu as l’impression que c’est plus simple de gérer le quotidien quand on est entrepreneur ou c’est plutôt le contraire ?
Je trouve le regard posé sur la femme entrepreneuse toujours un peu péjoratif, encore plus lorsqu’elle est maman. J’ai souvent entendu au début « Ah génial, tu vas pouvoir passer plus de temps avec tes enfants ». Est-ce qu’on dirait ça à un homme qui lance sa boîte ? Encore récemment lorsque j’ai présenté ma marque à un grand entrepreneur homme d’affaire, il m’a répondu « Bravo, tu dois avoir un mari très riche alors ». J’ai trouvé ça blessant et profondément injuste. Certes, le quotidien est plus simple à gérer car je n’ai pas de permission à demander pour un rendez-vous de médecin ou une sortie scolaire mais je travaille dix fois plus que lorsque j’étais en poste, parce qu’il y a toujours quelque chose à faire, qu’on ne compte pas ses heures et qu’on se bat toujours un peu contre les clichés de la « mompreneuse » qui cherche à s’occuper dans son temps libre (pas qu’il y ait de mal à cela, mais pourquoi sans cesse devoir se justifier ?). On se rend compte que même parmi les entrepreneurs, le chemin de la parité est sacrément long !
Il y a 3 ans vous avez déménagé à Genève, comment tu t’organises avec une entreprise et des bureaux basés en France ?
Entre une community manager basée à Paris, un service clientèle basé à Londres, un comptable basé à Toulon, un développeur web basé dans l’Oise, nos ateliers au Portugal et une styliste à Arras, déménager à Genève n’a pas changé grand-chose professionnellement. Je garde des bureaux en France et je reviens régulièrement à Paris pour des rendez-vous, ou rendre visite à notre logisticien, ou bien le showroom de notre distributeur. J’arrive à organiser des voyages concentrés de 48h et en profite pour voir des amis ou de la famille. On trouve toujours son équilibre !
Qu’est-ce que ce déménagement a changé pour toi et pour ta vie de famille ?
Pour le coup, notre qualité de vie a beaucoup changé en déménageant en Suisse. J’aurai toujours un faible pour Paris après y avoir habité 8 ans, c’est là que nous avons vécu jeunes mariés et que nos enfants sont nés, mais j’ai toujours su qu’on partirait un jour. Nous avions envie de ce changement pour les enfants, de les exposer à plus d’activités en plein air, de vivre des choses avec nos amis plutôt que de se voir lors de dîners. Nous habitons Genève car nous restons profondément urbains mais en 10 min nous sommes sur le lac, en 50 min dans les plus belles montagnes d’Europe… J’avais lu quelque part que chaque ville correspond à une décennie, donc après une enfance au Japon, une adolescence à New York, une vingtaine à Londres et une trentaine à Paris, je suis ravie d’aborder une nouvelle décennie là où nous sommes.
Quelles sont les nouveautés et dernières actus Canopea ?
La collection 2022 est prête, et je pense que c’est ma collection préférée jusqu’à aujourd’hui ! Nous avons continué de développer la ligne pour femmes, qui plaît énormément, avec une gamme élargie de maillots de bain mais aussi t-shirts, combinaisons anti-UV, des lignes mix and match avec les enfants, de nouveaux coloris… Nous avons sorti une nouvelle gamme bébé qui commence dès 3 mois avec plus de combinaisons et des béguins Liberty avec doublure anti-UV. Toujours dans un souci de concilier style et protection. Nous avons aussi dans les tuyaux quelques jolies collabs surprises pour 2022 !
Issu de l'interview pour leslouves.com